MUSÉE JUDÉO-ALSACIEN
28 aout 2023
Inauguration du Musée Judéo-Alsacien
De gauche à droite : Dr. Ernest Luft, Mme Buchi, Gilbert Weil
Discours du Dr. Ernest LUFT
Maire de Bouxwiller de 1971 à 1995
Le Musée Judéo-Alsacien de Bouxwiller, abrité dans l'ancienne synagogue, fut inauguré le 28 juin 1998.
Cet ancien lieu de culte abandonné en 1983 se trouve promis à la démolition.
Une association naît alors, animée par l'architecte Gilbert Weil, et propose une solution
positive : la création d'un musée retraçant l'histoire et mettant en scène la culture des juifs
d'Alsace.
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Mesdames, Messieurs,
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Tout d'abord merci à Madame le Maire, merci aussi à Monsieur le Président Gilbert Weil de m'avoir invité et de me donner la parole à l'occasion de l'inauguration de ce musée qui me tient tellement à cœur.
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Cette synagogue, durant un siècle lieu de culte d'une communauté importante, vivante et parfaitement intégrée, menaçait ruine quand, en 1971, je fus élu maire de Bouxwiller. Et dès le début de mon mandat, à cette époque il était question de transformer la synagogue en maison des jeunes, je m'étais juré de ne jamais porter atteinte à cet édifice dont l'état de délabrement m'affligeait profondément ; serment que j'ai d'ailleurs renouvelé quelques années plus tard quand, à l'occasion d'un séjour en Israël, j'ai pu me recueillir dans l'enceinte de l'émouvant mémorial Yad Vashem édifié en hommage aux victimes de l'Holocauste.
J'estimais que toute action sur ce bâtiment devait soit émaner de la communauté israélite, soit se faire avec son plein accord.
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En effet, trop de souvenirs, heureux et moins heureux, m'attachaient à cette communauté qui, dès ma prime jeunesse, retenait mon attention. Bouche bée j'assistais aux interminables palabres entre mon père et les maquignons lors de l'achat d'un cheval ou d'une vache laitière, marchandages qui se terminaient invariablement par une tape dans la main : marché conclu.
Heureux souvenir encore quand pour Pessa'h, la Pâque juive, la famille Weil - les parents de notre président qui prenaient le lait chez nous - nous offrait une pile de pain azyme, les fameux "Matze'', dorés et croustillants dont le gosse que j'étais raffolait.
Plus tard je fus de par ma profession - notamment en tant qu'inspecteur des viandes - en relation quasi quotidienne avec les marchands de bestiaux et les professionnels de la viande. Ainsi j'ai pu, non seulement me familiariser avec la technique de l'abattage rituel assez régulièrement pratiqué à l'abattoir de Bouxwiller et avec l'examen post-mortem effectué par le sacrificateur, mais encore avec le vocabulaire yiddish en usage dans le milieu.
Enfin je ne voudrais pas manquer d'avoir une pensée reconnaissante pour feu Monsieur Maurice Weil, le père de Gilbert, qui guida mes premiers pas de jeune conseiller municipal dans les années 59, début 60.
Parmi les souvenirs moins heureux, et qui m'ont marqué à jamais, je retiendrai l'expulsion de la communauté juive de la ville en juillet 1940 - le 15 je crois - et la profanation de la synagogue.
L'image qui m'est restée de cet exode forcé est celle d'hommes et de femmes résignés, les visages fermés, figés, entassés sur des camions avec leurs maigres bagages. Ils devaient en quelques heures quitter leur maison, leur foyer, leur intimité familiale pour être évacués vers une destination inconnue et ne sachant de quoi serait fait le lendemain.
Il y avait parmi eux une camarade de classe, cousine germaine de notre président, belle jeune fille et meilleure élève de la classe, arrachée sans ménagement à son environnement familier. Son visage rougi par les larmes, mais très digne, m'avait fendu le cœur : l'innocence face à la barbarie. Heureusement le sort réservé à Tsipouka la petite sœur aux cheveux d'or d'Elie Wiesel, disparue dans un camp de la mort, lui fut épargné.
Après cette expulsion manu militari, les nazis bien de chez nous ne tardèrent pas à occuper les lieux laissés vacants et à s'approprier meubles et autres biens.
Comme pour la rafle du Vel d'Hiv, les Allemands eurent sur place des suppôts serviles, aussi zélés qu'intéressés.
A l'inverse de ce qui se passait dans les autres villes - je pense notamment à Strasbourg - où des autodafés furent commis dans la liesse populaire, à Bouxwiller, ce fut plutôt l'indifférence, indifférence certes coupable, mais qui permit finalement de sauver la synagogue de la destruction, pas de la profanation. Début 1941 j'étais entré dans le bâtiment, curieux comme le sont tous les gamins. La porte était ouverte à tous les vents, les vitres des fenêtres brisées. A l'intérieur c'était la désolation : les vandales et autres ''Juddehasser'' (qui hait les Juifs) bien intentionnés avaient, petit à petit, tout saccagé. Et les autorités locales, à dessein, avaient laissé faire. L'Aron Hakodesh, cette armoire sacrée où sont précieusement rangés les rouleaux de la Torah, avait été éventré, profané.
Tout traînait par terre parmi les éclats de verre et les planches arrachées : parchemins et manuscrits de textes bibliques, phylactères avec leurs bandelettes de cuir, mapoth et autres objets de culte, piétinés, chiffonnés, déchirés, souillés. Malgré mon jeune âge j'avais compris l'abomination, la monstruosité de ce sacrilège.
Et cela dans une Europe de culture dite judéo-chrétienne ! Voilà à quoi mènent les fanatismes d'où qu'ils viennent. Les incidents en marge de la Coupe du Monde nous le rappellent si besoin était.
En 1942, les Allemands y installèrent un atelier de cartonnage.
Entre les deux guerres, nombreux étaient les israélites dans nos villages et bourgs de Basse Alsace. Leur présence ininterrompue depuis l'époque médiévale - les premiers juifs étaient, paraît il, venus avec les légionnaires romains - a fait qu'ils cohabitaient parfaitement avec les communautés de confession chrétienne.
Nul mieux que Claude Vigée n'a su rapporter - dans son Panier de Houblon notamment, les heurs et malheurs de cette communauté et la place qu'elle occupait dans le paysage rural de notre région, une communauté bien structurée, fière de son patrimoine religieux, culturel et linguistique.
J'étais toujours fasciné par le judéo-alsacien, ce langage savoureux et truculent, mélodieux et coloré qui caractérisait le tempérament vif et affairé des commerçants ambulants qui sillonnaient nos campagnes. Après la guerre peu de familles juives sont revenues à Bouxwiller. La Shoah était passée par là. Actuellement le Yiddish, idiome si on peut l'appeler ainsi, né dans les ghettos des pays de l'est de l'Europe et qui par ses hébraïsmes a enrichi notre dialecte et contribué à sa diversité - pour Raymond Matzen il a discrètement et délicatement parfumé nos parlers locaux - actuellement le yiddish, dis-je, a totalement disparu de la campagne alsacienne. On ne peut qu'en être attristé ! A quand la disparition, dans nos villages, de notre dialecte et de notre double culture qui fait, ou plutôt qui a fait, notre richesse ?
L'uniformisation, en tout cas, est en bonne voie !
Venons en maintenant à la genèse du musée. En 1983-84 la situation concernant la synagogue, dont la famille Weil détenait les clés, peut se résumer ainsi :
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un bâtiment en piteux état, peu ou plus utilisé comme lieu de prière par une communauté réduite à quelques membres ;
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un Consistoire Israélite, propriétaire des lieux, qui avait hâte de se débarrasser d'un édifice qui devenait encombrant pour lui ;
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un commerce local qui cherchait à l'acquérir pour le raser en vue d'aménager un parking à sa place, et cela avec l'aval, pour ne pas dire la bénédiction des services départementaux concernés ;
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janvier 1984 - première délibération du Conseil Municipal qui, je cite "ne s'oppose pas à la désaffectation de la synagogue, et apporte tout son appui à un projet d'écomusée du judaïsme". Le projet - à l'époque c'était plutôt une idée, une intention - nous venait, vous l'avez compris, de Gilbert Weil. C'est lui qui, dans les années 1984-85, a su, et je lui en suis infiniment reconnaissant, faire barrage à la vente et donc à la démolition programmée du bâtiment. Grâce à sa ténacité et à son intervention au plus haut niveau à Paris, il a obtenu en un temps record l'inscription à l'Inventaire des Monuments Historiques. La synagogue, qui avait survécu par miracle à l'occupation nazie était, à présent, définitivement à l'abri.
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Juillet 1986 - par bail emphytéotique le Consistoire loue pour une durée de 30 ans et un loyer symbolique la synagogue à la Ville. Un obstacle majeur était levé;
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enfin, le 4 décembre de la même année, le Conseil Municipal adopte le projet de musée judéo-alsacien pour un montant de 1.343.000 F TTC près de 12 ans après nous sommes en mesure de l'inaugurer.
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Je voudrais adresser mes plus vifs remerciements à Gilbert Weil, concepteur du projet, pour le service qu'il a rendu à la Ville, d'abord en sauvant un bâtiment remarquable, qui au même titre que nos églises , à sa place dans notre cité, ensuite et surtout en créant ce musée, lieu de mémoire et, dirais je, de recueillement qui permettra aux générations futures de connaître et de comprendre le mode de vie à travers les âges d'une communauté bien ancrée dans la campagne alsacienne et qui, quoique longtemps exclue de certaines professions, avait su se faire une place au soleil et a contribué de façon significative , bien au-delà de ce que l'on pouvait attendre d'un groupe minoritaire, au développement économique et culturel de la région.
Monsieur Gilbert Weil qui s'occupe encore d'autres
synagogues bas-rhinoises s'est dépensé sans compter
pour faire aboutir son musée.
Il mérite nos applaudissements.
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Les dépassements en la matière aboutissent souvent à des excès de volume.
La mise bas, laborieuse et assez douloureuse, a pu, néanmoins, se faire par les voies naturelles, sans forceps, ni bistouri, instruments qui auraient pu être préjudiciables au nouveau-né. Ce dernier, vigoureux et bien portant, comme vous avez pu le constater, fait oublier au concepteur et à ceux qui l'ont porté toutes les peines qu'il leur a causées. Et nous tous avons la joie et le bonheur - en dépit de quelques ennuis post-partum en rapport avec la Chambre Régionale des Comptes - de pouvoir, aujourd'hui, lui souhaiter santé, prospérité et longévité.
Quant à Gilbert Weil, je suis sûr qu'il me pardonnera cette petite pincée de sel attique qui, à l'instar des épices qui relèvent les mets de la cuisine juive et leur donnent toute leur saveur, veut apporter une note gaie à une cérémonie plutôt austère. Laissons à Elie Wiesel le mot de la fin:
Que ce musée ''empêche le passé de s'éteindre, qu'il fasse revivre des fragments d'existence et reculer le sable qui recouvre la face des choses''.
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Mes remerciements vont aussi à Madame le Maire qui avait la tâche d'achever le chantier et de faire face à des avenants aussi nombreux qu'importants.
Je me dois enfin de remercier l'architecte d'opération, Monsieur Jean Marc Mehl, qui a réalisé un travail remarquable dans des conditions qui n'étaient pas toujours aisées pour lui, placé qu'il était entre le marteau et l'enclume, entre les exigences d'un projet ambitieux et les contraintes financières de la Ville.
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Pour conclure je dirais que le projet d'écomusée du Judaïsme fut semé d'obstacles de la conception à l'accouchement. Entre les deux, une trop longue gestation a fait prendre un poids considérable au produit, ce qui n'est pas pour nous étonner.
M. Gilbert Weil et Mme Buchi
Photographies : © Michel Rothé
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